Entretien avec un brodeur breton, artiste textile et explorateur de matières. Interview par Claire de Pourtalès
Né en 1990, Mathias Ouvrard a rapidement pris goût à la broderie. En tant que danseur au sein du groupe Eostiged ar Stangala, il commence à broder pour aider la troupe et développe une véritable passion. Malgré l’incompréhension de ses camarades d’école, il persévère dans cette voie. Après un bac en Arts Appliqués, il s’installe à Paris pour obtenir un Diplôme des Métiers d’Art textile, spécialité broderie, à l’École Duperré. Il a même l’opportunité de collaborer pendant quatre jours sur plusieurs pièces de la collection d’Alexander McQueen, une expérience marquée par une intense créativité.
Durant notre entretien, un mot revient constamment : la matière. Ce qui captive Mathias, ce ne sont pas tant les couleurs ou les formes, mais le travail des matières. Il n’hésite pas à transformer les fils d’or pour observer l’effet produit. Son objectif est de « pousser la matière plus loin ». « La matière a quelque chose à m’offrir et j’aime le découvrir », dit-il. Récemment, il s’est tourné vers le velours, qu’il brosse, écrase et manipule pour jouer avec la lumière.
Autodidacte dans les techniques de la broderie, il a appris grâce à des livres et des tutoriels. Cependant, ce n’est pas la technique qui l’intéresse, mais ce qu’elle permet de créer. « Respecter les règles de l’art ne m’intéresse pas », affirme-t-il, cherchant avant tout le rendu final. La technique qu’il privilégie est le crochet de Lunéville, « mais avec beaucoup de liberté ! ».
Mathias est également fasciné par les pièces anciennes, héritées ou trouvées dans les musées. Il aime les examiner sous « toutes leurs coutures ». Lors d’une visite au Victoria and Albert Museum avec une amie, il passe tellement de temps devant chaque vêtement qu’il doit renoncer à finir la visite pour éviter de l’ennuyer. Actuellement, il travaille sur des vêtements de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème, des pièces du Sud Finistère aux matières nobles qui illustrent l’excellence des techniques de l’époque. Il cherche à intégrer leur esthétisme dans l’art contemporain.
Son art est ancré dans ses racines bretonnes, avec une recherche identitaire profonde. Mathias ne se contente pas de créer du « moderne comme tout le monde ». Son travail repose sur une base solide : « Réinterpréter les modes traditionnelles de ma région me procure une grande satisfaction. Ce n’est pas une démarche délibérée, c’est un besoin, une envie inexplicable. Je souhaite ensuite que cet art soit engagé. Mais je le ferais même sans ça, je pense. »
Une autre réflexion essentielle pour lui est la reconnaissance de la Bretagne et de sa culture. Longtemps marginalisée par le gouvernement centralisateur de Paris au 19ème siècle, la culture bretonne est souvent mal perçue. « Ma grand-mère parlait breton et j’adorais l’entendre discuter avec ses amies au téléphone. Mais elle refusait de me l’enseigner, pensant que cette culture n’avait aucune valeur. »
Mathias est plus sensible aux œuvres qu’aux artistes, bien qu’il ait une admiration pour Clémentine Brandibas avec qui il a suivi des cours de broderie. « Son univers est très différent, mais nous avons de belles discussions sur la matière. » Lorsqu’il travaillait sur les pièces de McQueen, il était également captivé par la « création de matière » et la qualité de la coupe et du montage. Cependant, il ne se voyait pas en exécutant. Quatre jours étaient suffisants. Son désir de créer ses propres œuvres l’a également conduit à quitter l’enseignement à l’École Jaouen, où il aimait pourtant beaucoup travailler. Oui, Mathias Ouvrard est un artiste – peut-être pas encore pleinement conscient de son talent, mais certainement animé par une véritable passion créative.