Les diverses techniques de broderie au Victoria and Albert Museum – Londres

04/11/2019

Traduction d’un article du Victoria and Albert Museum sur les diverses techniques de broderie. Sur les centaines de techniques existant à travers le temps et l’espace ce n’est, bien sûr, qu’un petit aperçu de la créativité humaine.

La Broderie
La broderie est pratiquée à travers le monde et a connu – et connait encore – toutes sortes de variétés de techniques, de points, de fils, de tissus et de décors. Il n’y a pas vraiment un moyen universel pour classifier la broderie car chaque culture utilise des termes différents pour décrire les points et les techniques. Ce guide introduit les styles les plus fréquents présents dans les collections du V&A. Trois groupes se distinguent : la broderie aux points comptés, la broderie à main levée et la broderie blanche.

Le Broderie aux points comptés
Elle englobe toutes les techniques qui utilisent un nombre prédéterminé de points sur un nombre prédéterminé de fils de trame/chaîne ou de section du tissu de base. Le travail se fait sur une toile tissée régulièrement avec des points assez simples et peu variés. On retrouve des motifs souvent répétitifs et/ou réguliers. Parfois le tissu de base reste visible, parfois il est entièrement recouvert de points.

Paire de chaussure recouverte de broderie Bargello, 1730-1740, Angleterre /T.64&A-1935 © Victoria and Albert Museum, London

Bargello : brodé généralement sur une toile tissée 1fil/1fil il se caractérise par l’utilisation d’un simple point vertical appelé Florentin. Selon le modèle traditionnel du Bargello, chaque nouveau point s’exécute verticalement soit au-dessus soit en-dessous du point précédent, créant une sorte de zigzag ondulant. Les origines de cette technique sont incertaines, comme le montre la variété de noms qu’il porte : point Bargello, point florentin, point de Hongrie (et en Anglais : Flame stitch, cushion stitch, Irish stitch…). Il est pourtant reconnu que ce point était très populaire à Florence pendant la Renaissance et était traditionnellement utilisé pour l’ameublement.

Chaise recouverte d’une broderie Bargello, 1700-1750, Angleterre /T.178-1925 © Victoria and Albert Museum, London
Dessin pour un modèle de Berlin en laine, Hertz and Wegener, vers 1860, Berlin/E.3727-1915 © Victoria and Albert Museum, London

Broderie en laine de Berlin : sur un tissu de base, un seul type de point est brodé avec de la laine, conférant une bonne résistance à l’usure et donc idéal pour l’ameublement. Cette technique a vu le jour au 19ème siècle à Berlin (d’où son nom). Les motifs étaient dessinés sur du papier millimétré où chaque carré correspondait à un carré de fils sur le tissu.

Dessin pour un modèle de Berlin en laine, Sarah Bland, vers 1850, Angleterre /E.372:23-1967 © Victoria and Albert Museum, London

Cette technique connue un énorme succès dans l’Angleterre victorienne. Plus de 14 000 modèles ont été importés avant la moitié du siècle déjà. Traditionnellement, plusieurs fils de laine aux couleurs vives étaient utilisées pour créer une illusion de profondeur qui faisait grand effet sur les meubles et les coussins des maisons victoriennes. (voir aussi Cahier de modèles à broder datant du 19ème siècle)

Broderie Noire – C’est une forme monochrome et élégante de broderie, traditionnellement utilisée pour décorer les accessoires de mode tel que bonnets, cols, manches et manchettes à travers l’Europe du 16ème et 17ème siècles.
La technique qui constitue à compter les fils pour créer les points demande une toile de base tissée régulièrement. Au 16ème siècle on trouve surtout des motifs géométriques ou floraux, répétitifs. Au 17ème siècle, des dessins plus grands et plus réalistes apparaissent. Des tiges sinueuses entre fleurs et feuilles, accueillent des oiseaux, des animaux et des insectes. Ces motifs pouvaient être imprimés sur les tissus (généralement du lin) mais les brodeurs professionnels étaient aussi appelés à créer des motifs originaux.

Veste recouverte de broderie Noire, vers 1620-25, Angleterre /T.4-1935 © Victoria and Albert Museum, London

Point de croix – Probablement le point le plus simple et le plus facile à reconnaitre : deux lignes diagonal formant une croix, l’une passant au-dessus de l’autre. C’est aussi l’une des plus anciennes formes de broderie (des exemples ont été retrouvés qui datent de 850 avant J.-C.) qui soit toujours utilisée actuellement, et dans le monde entier. En Occident, on aimait son “honnête simplicité” – probablement dû au fait qu’elle était utilisée par les apprenties-brodeuses pour créer les thèmes religieux de leurs échantillons. Bien que cette technique soit souvent employée pour créer des motifs très simples sur une toile à large mailles régulières, il peut aussi être choisi pour créer des effets extrêmement sophistiqués, reproduisant la profondeur et les ombres des motifs figuratifs.

Panneau brodé au point de croix, vers 1855, Angleterre /T.263-1968 © Victoria and Albert Museum, London
Kimono brodé avec la technique kogin, vers 1880-1920, Japon / FE.141-1983 © Victoria and Albert Museum, London

Le Kogin est né dans la Préfecture de Aomori, au nord de Honshu à l’époque Edo (1615-1868). C’est une forme de broderie japonaise utilisée au départ pour réparer ou consolider les vêtements usés. Généralement brodés au coton blanc, des points réguliers et parallèles sont exécutés sur un tissu le plus souvent bleu, pour former des motifs géométriques. Au début du 20ème siècle cette technique avait presque complètement disparu, mais elle connait une récente renaissance pour broder les tissus d’ameublement et même les accessoires de mode. Voir aussi La broderie Kogin-Sashiko pour se protéger du froid

Panneau brodé au demi-point, vers 1725-50, Angleterre /T.122-1938 © Victoria and Albert Museum, London

Broderie à fils comptés (canevas) – Cette technique permet de recouvrir complètement une toile avec le plus souvent un point très simple, le demi-point (une seule diagonale). On utilise souvent de la laine de plusieurs couleurs pour créer les motifs. Pour créer des détails plus fin, on utilisait le petit-point (toujours une seule diagonale mais sur un seul fil de trame/chaîne). La Reine Mary d’Ecosse l’utilisait souvent pour occuper ses longues heures de captivité. Cette technique était fréquemment utilisée par les femmes à partir du 16ème siècle pour créer des rideaux de lits, des tapisseries murales, des coussins et autres éléments d’ameublement. Voir aussi Les broderies royales de Marie, reine d’Ecosse.

Broderie à main levée
Ce nom englobe toutes les techniques de broderie qui ne font pas appel à une forme de comptage, où la réalisation des points ne dépend pas du tissage de la toile à broder. Ceci permet une plus grande flexibilité dans la création de la profondeur et l’utilisation d’une mélange plus varié de points. Avec la broderie à main levée, presque tous les motifs peuvent être exécutés, depuis les scènes les plus visuellement réalistes aux dessins les plus géométriques ou abstraits. Des fils peuvent aussi être couchés sur la toile et fixés avec d’autres fils (technique de la couchure).

L’art de l’aiguille (ou broderie traditionnelle) : au 19ème siècle, les Anglais utilisaient principalement la technique de la Broderie de Berlin et l’artiste William Morris voyait disparaitre les techniques traditionnelles. Avec son mouvement Arts and Craft, il offrit de promouvoir les techniques traditionnelles, avec des motifs souvent inspirés par la nature ou les tissus historiques d’Italie, Iran (Perse) et Turquie. En 1872 la création de la Royal School of Needlwork a permis de relancer les « techniques ornementales qui ont autrefois été considérées avec haute estime». Des artistes tel que Jessie Newbery, ont aussi cherché à expérimenter autour de ces techniques.

Tapisserie murale aux techniques de broderie traditionnelles (détails), dessinée par William Morris, brodée par Ada Phoebe Godman, vers 1877-1900, Angleterre /T.166-1978 © Victoria and Albert Museum London

Broderie chinoise (xiu) – Les techniques très variées de la broderie Chinoise remontent à plusieurs millénaires. Les motifs sont souvent inspirés de la nature (fleurs, oiseau, animaux) mais aussi des motifs géométriques et abstraits. Les fils sont en soie plate (non moulinée) permettant de créer un lustre riche et nuancé. Associé à divers rembourrages, cette technique crée de magnifiques effets tridimensionnels. Les fils moulinés sont plus solides et permettent de broder des bords plus nettes. Il y a principalement 4 types de broderies : Shu xiu (au Sichuan) avec surtout des motifs dérivés de la nature ; Su xiu (du Jiangsu), utilisant des couleurs naturelles ; Xiang xiu (du Hunan), une broderie qui imite la peinture, la gravure et la calligraphie ; et enfin Yue xiu (du Guangdong) utilisant des couleurs vives, sans chercher à reproduire la profondeur, et privilégiant les motifs de dragons et de phénix.
Voir aussi La broderie Gu enseignée à l’Université de Shanghai 
Découverte de la Broderie Miao – Chine 

Panneau recouvert de broderie chinoise (détail), 18ème siècle, Chine /T.171-1948 © Victoria and Albert Museum, London
Rideau brodé au Crewel, vers 1660-1700, Angleterre /T.29-1932 © Victoria and Albert Museum, London

La broderie Crewel – cette technique riche et élaborée a au moins 1000 ans. Son nom vient d’une laine fine à deux brins qui est utilisée pour sa création. Un grand nombre de point existent à la fois pour les contours des motifs et pour leur remplissage. Cette technique permet de jouer savamment des ombres et des textures. Elle était à la mode à la fin du 17ème siècle et au début du 18ème siècle en Angleterre pour décorer les rideaux et les tentures de lits. Les motifs sont souvent influencés par les dessins Indiens importés par la Compagnie des Indes Orientales, caractérisés par des motifs de plantes et d’animaux exotiques stylisés, vivement colorés.
Voir aussi A la croisée des influences – la broderie du Gujarat

La chasuble Thornton, 1510-1533 /697-1902 © Victoria and Albert Museum, London

Les designers aiment aussi ajouter des fils du précieux métal – souvent combinés avec des perles et des strass – pour ajouter de l’éclat à un vêtement Haute-Couture.
Voir aussi Introduction à la broderie d’or

Broderie d’or – Ici on brode avec des fils métallisés. A l’origine (qui remonte à plus de 2000 ans) des fils d’or pur étaient utilisés pour décorer les vêtements des personnages importants. En Angleterre,cette technique connue son apogée entre 1250 et 1350 sous le nom de Opus Anglicanum ou Œuvres Anglaises. Il était courant de représenter des scènes tirées de la Bible, richement ornées. La broderie d’or reste une technique privilégiée pour les tenues religieuses, militaires ou de cérémonie. Elle est aussi utilisée pour créer des effets spectaculaires dans la broderie Zardosi en Inde.

La Ligne H, ensemble du soir en broderie d’or (détail), dessiné par Christian Dior, brodé par Bodin Brossin, 1954-55, France /T.12&A-1977 © Victoria and Albert Museum, London
Boîte brodée au stumpwork par Martha Edlin, 1671, Angleterre /T.432-1990 © Victoria and Albert Museum, London

La Broderie en relief ou stumpwork – Ici on utilise un grand nombre de matières et de techniques pour donner une énergie tridimensionnelle aux dessins, souvent figuratifs. Les points de broderie sont exécutés au-dessus de divers types de rembourrage qui donnent une forme de base. Des fils variés sont choisis pour créer des zones d’ombre et des éléments brodés séparément sont ajoutés au dessin final. Le Stumpwork, particulièrement populaire en Angleterre, était souvent utilisé pour décorer des boîtes faites et utilisées par les jeunes filles au 17ème siècle. La réalisation de ces boîtes faisait partie du cursus de leur éducation. Les scènes provenaient souvent de la Bible, des mythes ou des références classiques.
Voir aussi Boîte à bijoux brodée 1675-1690

Broderie blanche
La broderie blanche relève à la fois du point compté et de la broderie à main levée. Ce qui la caractérise c’est l’utilisation exclusive de fils et de tissus blancs. Les points doivent être lisses, réguliers, requérant un niveau très élevé d’expérience. Historiquement cette broderie était le plus souvent réalisée par des professionnels.
Mais, tout comme les autres techniques vues précédemment, la broderie blanche devient un passe-temps honorable pour les femmes des classes moyennes en Europe et en Amérique. Cette technique est souvent utilisée pour broder des linges et vêtements ecclésiastiques, des vêtements de nuit, des robes de baptême, etc. Elle inclut souvent des trous (réalisés en tirant et /ou coupant des fils) comme élément de décors.

La broderie Ayrshire – c’est le nom donné à la broderie blanche réalisée sur une mousseline très fine. Originaire de Ayr en Ecosse, un grand centre de production de mousseline, elle est devenue très populaire au début du 19ème siècle quand les robes très simples en mousseline étaient à la mode. Les motifs principaux sont des fleurs et des tiges, brodés au passé plat avec une aiguille à dentelle (une dentelle réalisée avec une aiguille et du fil contrairement à la dentelle traditionnelle). Les jours (fils tirés et coupés) sont aussi fréquents. Cette technique était souvent utilisée pour créer des motifs complexes pour les cols, manchettes, bonnets et vêtements d’enfants. Il existe une ressemblance avec la technique Chikan (Inde) qui elle aussi décore des toiles extrêmement fines.

Robe en broderie de Ayrshire (détail), 1820-30, Ecosse /CIRC.410-1924 © Victoria and Albert Museum, London
Manteau en broderie anglaise, 1879, Angleterre /T.162-1962 © Victoria and Albert Museum, London

Broderie anglaise – cette technique utilise les jours sans avoir à faire attention au tissage de la toile. En fait, on réalise des trous en coupant le tissu et en les décorant de divers points. Les motifs sont souvent des plantes qui sont facilement mises en relief par les ronds et les ovales découpés. Les bords sont souvent festonnés autour de petits trous décorés au point de chausson. Il est probable que cette technique soit originaire de l’Europe de l’Est (16ème siècle) et qu’elle soit arrivée via la France en Angleterre où elle connue un très grand succès (d’où son nom français, même en Anglais). Elle est toujours fréquemment utilisée pour broder les bords des vêtements pour enfants, les robes, les vêtements de nuit, les sous-vêtements et le linge de maison.

Mouchoirs brodés de jours (détails), 1600, Italie /288-1906 © Victoria and Albert Museum, London

Jours – Ici nous retrouvons un motif entièrement bordé de points variés, dont le centre est découpé. Ce type de broderie nous vient d’Italie. Pendant la Renaissance, les religieuses créaient de fines broderies pour l’Eglise, d’abord en enlevant certains fils, puis des sections entières pour exploiter au maximum les contrastes de lumières (jours) et d’ombre. Peu à peu cette technique s’est professionnalisée et les brodeurs ont établis la tradition de recouvrir les bords des tissus de ce type de motifs. Au 16ème puis 17ème siècles, le travail important que demandait cette broderie, et donc son prix, signalait aussi le rang social de ceux qui pouvaient se permettre de payer ces heures. Elle a ainsi été associée à la royauté et à la noblesse. On s’échangeait alors fréquemment des cadeaux de broderies aux jours. Cette technique est aussi à l’origine de la dentelle à l’aiguille : avec le temps les brodeurs découpèrent des jours de plus en plus grands, ou « reticella » (formes flottantes) qui étaient ensuite « remplies » avec des dessins très fins à l’aiguille.

Mountmellick – Cette broderie blanche, contrairement aux autres, n’utilise pas de trous ou d’espaces ouverts. A la place, elle cherche à créer un espace tridimensionnel, avec des points permettant de poser le plus de fils possible au-dessus du tissu et le moins possible en-dessous. Les bords étaient généralement brodés de franges pour créer des tissus solides pouvant être utilisés comme couvre-lit ou nappe. Cette technique est l’une des rares qui nous viennent d’Irlande, de la ville de Mountmellick dans le Comté de Laois. Elle a été développée par Johanna Carter vers 1825. Elle voulait aider les femmes démunies à développer des talents de brodeuses et de couturières. Après avoir connu un immense succès pendant quelques années, cette technique a cessé d’être utilisée et, malgré un petit retour dans les années 1970, elle reste assez marginale.
Voir aussi La broderie Mountmellick reconnue Héritage culturel de l’Irlande

Échantillon de broderie aux jours, 1800, Allemagne /194-1885 © Victoria and Albert Museum, London

Broderie aux fils tirés – Ici les fils de chaîne (verticaux) et de trame (horizontaux) sont coupés selon un nombre défini puis tirés. Les fils restants sont brodés ensemble pour créer des motifs complexes. Il semble que cette technique soit originaire d’Égypte.
Elle est souvent utilisée avec les jours, avec ou sans fils tirés, et la dentelle à l’aiguille. Elle était fréquemment employée pour embellir les bords des nappes et des sous-vêtements au 16ème siècle. On la retrouve en Scandinavie et dans la broderie Hardanger (Norvège) pour créer des motifs géométriques avec l’aide de très petits trous carrés ou rectangulaires.

Mouchoir en broderie de Mountmellick, 1880, Irlande /T.100-1963 © Victoria and Albert Museum, London

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