Au cœur de l’île de la Réunion se trouvent de vastes cirques qui sont restés isolés du reste de l’île pendant de nombreuses années. Ce n’est qu’en 1932 qu’une route a été construite pour accéder à Cilaos. Avant cela, le village n’était accessible qu’à pied par des sentiers escarpés et dangereux. Cette isolation a favorisé le développement d’un style de broderie distinctif : la broderie de Cilaos.
Origines et développement
Angèle Mac Auliffe est née en 1877 dans le cirque de Salazie. En 1897, son père, médecin, s’installe dans le cirque voisin de Cilaos, et elle le suit. Angèle a reçu une éducation soignée, particulièrement en travaux d’aiguille. Grâce à « L’Encyclopédie des ouvrages de dames » (1884) d’Hélène de Dillmont, elle a pu confectionner et broder son trousseau. À Cilaos, elle ouvre un atelier de broderie pour les jeunes filles du village, leur offrant ainsi une opportunité d’améliorer leurs revenus.
Technique et inspirations
Angèle s’inspire de la broderie de Ténériffe, qui se réalise sur un métier avant d’être cousue sur le tissu à décorer. Elle choisit de broder ses jours directement sur une toile de lin, à la manière du Hardanger norvégien. Cependant, la broderie de Cilaos se distingue en permettant aux brodeuses d’ajouter des fils, ou « lancer » des fils, créant ainsi une variété infinie de motifs. La nature luxuriante de l’île offre une source d’inspiration inépuisable.
Procédé de broderie
Sur une toile de lin, les fils sont tirés pour définir les contours du dessin. Ensuite, des fils sont lancés et croisés dans cet espace, fixés par un point de feston sur les bords. Le motif débute toujours au centre. Les fils utilisés sont principalement du DMC 50 ou 100, selon la toile et le motif.
Variété des motifs
Il existe 48 motifs, inspirés du monde végétal et animal : chrysanthème, dahlia, lys de St Joseph, fleur de café, grenadine, et paille-en-queue (phaéton, emblème de l’île), entre autres. Un seul motif, dans un carré de 5 cm, représente une journée de travail pour une brodeuse expérimentée. Cette broderie est principalement utilisée pour décorer le linge de maison, mais elle orne aussi des vêtements et des robes de baptême.
Préservation du savoir-Faire
Pour préserver cette tradition, la ville de Cilaos a fondé la Maison de la Broderie. Chaque jour, des brodeuses (dont deux Meilleur Ouvrier de France) y démontrent leurs techniques aux visiteurs et les enseignent lors de stages de formation.
Héritage et continuité
Après le décès d’Angèle à l’âge de 31 ans, l’atelier a été repris par les sœurs de St Joseph de Cluny, dont sœur Anastasie, issue d’une famille paysanne locale, qui s’est distinguée par ses talents de brodeuse. Elle a formé plus de 200 jeunes filles à cet art délicat et a également été récompensée par une médaille d’or au concours du Meilleur Ouvrier de France, dans la catégorie Jours brodés. Aujourd’hui, environ 30 brodeuses à Cilaos perpétuent cette tradition, n’hésitant pas à innover et à introduire de la couleur dans cette célèbre broderie blanche.