Jessica Sirot – 12ème génération de brodeuses

17/01/2021

Photos – Jessica Sirot / Au Fil des Secrets – photos protégées par copyright  © Au fil des Secrets – merci
Texte – Claire de Pourtalès

Il y a trois ans, au décès de sa Grand-Mère, Jessica Sirot (artiste française) fait le pas et devient brodeuse professionnelle: «Ce décès m’a donné naissance».

Jessica est entrée dans sa famille à 2 ans, par adoption, «ma vie a commencé à ce moment. Je suis née dans les fils et les aiguilles». Son père a fait de longues recherches généalogiques. Les plus vieux documents remontent à 1724. Au moins depuis cette date, on trouve des brodeuses professionnelles à chaque génération. Dans cette famille du Nord, les hommes étaient mineurs, les femmes brodeuses.

J’étais un peu la seule petite-fille de ma Grand-Mère pouvant tenir une aiguille. J’ai fait son bonheur ! J’ai passé mon enfance à regarder mon Arrière-Grand-Mère, ma Grand-Mère et ma tante broder. La première brodait à la manière de Lesage, des décors de paillettes, la deuxième s’était spécialisée dans les fleurs colorées et ma tante faisait de la dentelle au fuseau surtout en blanc et noir.
A partir de 9 ans, j’ai suivi une formation complète avec elles.” 

A 21 ans elle se retrouve Maman d’un petit garçon à qui elle va à son tour enseigner ces techniques ancestrales. Aujourd’hui enceinte à nouveau, elle espère une petite fille pour lui transmettre cet héritage: «Mais elle en fera ce qu’elle voudra !» La fille de son compagnon, 6 ans, montre déjà des signes de grande créativité. L’héritage ne sera peut-être pas transmis par les gènes, mais il est en bonne voie pour atteindre la 13ème génération.

En 2018, après ce deuil qui la bouleverse, Jessica décide donc de tout changer. Pour rassurer sa mère, elle avait suivi une formation d’aide-soignante et après quelques années s’était retrouvée dans un institut médico-légal à ouvrir et reconstruire des corps: «J’étais spécialisée dans les morts violentes et j’aimai reconstruire ces personnes

Elle prend quelques mois de réflexion et se jette à l’eau en juillet 2018. Une amie lui demande de lui expliquer sa technique et l’artiste lui répond: «c’est un secret». Son nom de scène est tout trouvé. Au Fil des Secrets est né.

A la fin de l’année, elle participe au Salon des Métiers d’Art de Nantes. Elle y trouve la reconnaissance dont elle a besoin en gagnant le prix du Concours du Jeune Créateur.

Dans un premier temps, elle souhaite s’éloigner de son héritage, de la broderie de tableau-tapisserie, des décors de vêtements. Elle brode donc des bijoux en noir et blanc. Mais ils ont tant de succès qu’ils sont copiés partout. A la même période, Jessica sent le besoin de broder en grand. Elle abandonne alors les bijoux et se met aux toiles abstraites, portées par une géométrie rigoureuse: «Je suis un peu garçon manqué, les petites fleurs c’est pas mon style».

L’artiste avoue son amour des chiffres. Un motif doit être complet, un tableau doit être équilibré – un côté en Blackwork, un autre aux points tirés. Et surtout toute la toile doit être travaillée jusqu’au bord ! Pas de vide: «C’est ma névrose d’artiste !»

Le Blackwork est une très ancienne technique qui visait à remplacer la dentelle très coûteuse. On utilise des fils noirs pour réaliser au point arrière des motifs au point compté plus ou moins complexes qui se répètent. Jessica ajoute des effets de texture en jouant sur les épaisseurs des fils, en brodant du bois, du cuir, etc. Depuis qu’elle est enceinte elle dort peu et son esprit créatif tourne à plein régime. Elle a 40 projets en tête, souhaite ajouter de la peinture, des perles japonaises, «prévoir des choses impossibles et trouver comment y arriver».
Malheureusement les visiteurs portent encore trop souvent des préjugés: «Pour la plupart des gens, la broderie c’est du point de croix qui va des tableaux chasse et pêche au bavoir de bébé. Il faut souvent expliquer au public à la fois la technique et le temps de création. Les Français ont besoin que le prix soit justifié. Lors d’un salon, j’entendais les gens dire que ma grande broderie était «bien chère» ! Le lendemain, j’ai ajouté le nombre d’heures de travail qu’elle représentait. Le discours a alors changé. Avec les visiteurs étrangers, c’est très différent. Ils sont plus ouverts aux techniques différentes, à l’art lui-même

Alors même que le pays a mis en place une importante structure de formation aux métiers d’art, structure qui n’existe pas dans les autres pays francophones, ces métiers sont souvent peu appréciés en France. Par contre, le Made in France est très valorisé à l’étranger. La pandémie change la donne pour Jessica. Avec la fin des salons, des rencontres, elle comprend qu’elle doit s’ouvrir à l’international. C’est là que se trouve son public. Comme elle maitrise mal les moyens technologiques, elle trouve de l’aide auprès de son fils et de son compagnon. Son frère lui-même participe à l’entreprise en créant les socles de bois dans lesquels viennent se fixer les grandes broderies. Mais ces œuvres si structurées passent mal en photo. «On va transformer une pièce pour essayer de faire de meilleures photos». Être artiste demande de connaitre son art, mais aussi les métiers du commerce, de la vente, du marketing et la maitrise des réseaux sociaux. Un vrai challenge: «Financièrement, j’ai dû reprendre mon métier d’aide-soignante ces derniers mois.»

Après avoir passé des heures sur une pièce, Jessica a un besoin quasi physique qu’elle parte : «Je ne peux plus la voir en peinture !» Elle n’aime pas s’occuper des finitions, et laisse le dos des œuvres ouverts :  «Je suis authentique, directe. Alors oui, ne pas couvrir le dos me fait gagner 3 heures de travail mais correspond aussi à ma personnalité. Je ne veux rien cacher de mes essais, de mes erreurs.»

La pandémie lui a permis de travailler plus tranquillement. Elle a pu faire assez d’œuvres pour les exposer dès que cela sera possible, sans nuits blanches ou stress !

Elle nous invite aussi à découvrir deux artistes françaises très différentes. L’une est délicate, pleine de tendresse (Eline broderie), l’autre dépoussière le vieil art en brodant des injures avec humour (Vilaines Broderies).

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