Modèles de points de broderie – 17ème siècle, Angleterre

10/08/2019

Le modèle d’Anna Bucket (1656)
Broderie de soie sur lin.
Points : passé empiétant, fendu, tige, point arrière, petit point, point de croix et passé plat.
70,8 cm sur 26,4 cm
MET 64.101.1327

Ce type de modèle, crée vers 1630, était devenu très courant au milieu du siècle. Les modèles verticaux permettaient de créer des rangs réguliers de motifs naturels ou géométriques. Le tissu de base était généralement coupé dans toute la largeur d’un coupon de lin tissé régulièrement. Les lisières déjà cousues se retrouvaient en haut et en bas du modèle. La brodeuse devait simplement coudre les bordures des côtés.
Les points de broderie sont le plus souvent réalisés avec des fils de couleurs, même si certains (comme le modèle de Margret Barber ci-dessous) sont réalisés au fil blanc, montrant plutôt des techniques différentes (fils tirés, dentelle à l’aiguille, etc.).
Généralement réalisées par des jeunes filles sous l’œil vigilant de leur institutrice, ce genre de travaux représentait les premières années d’apprentissage. Les brodeuses avaient entre 7 et 8 ans.

Cet exemplaire réalisé par Anna Bucket offre la particularité d’ajouter un élément décoratif, un couple se faisant la cour. La brodeuse a ajouté son nom et la date de son travail au-dessus d’un cupidon qui volette autour du couple, comme pour dire son espérance pour un mariage heureux. Le couple est accompagné d’un chien (symbole de la fidélité dans le mariage), et est entouré d’une licorne et d’un lion (symboles de l’Ecosse et de l’Angleterre). Cette représentation se retrouve fréquemment dans les ouvrages de cette époque. En plus des motifs traditionnels, la brodeuse a ajouté des arbres fruitiers, des fleurs et même des insectes, complètement hors de proportion ! Ce modèle a pu être mis à l’honneur sur un mur – on retrouve un texte de police de décembre 1750 qui liste les biens pris par un voleur et dans lequel on retrouve « un modèle de broderie encadré de bois et de verre. »

Modèle en semis (vers 1650)
Broderie sur lin, réalisé aux fils de soie et de métal.
Points : petit point, point de croix, arrière, point de natte tressé, de nœud, couchure et point de filet
55,2 cm sur 27 cm
MET 64.101.1328

Ce modèle est connu sous le nom de Spot Sampler, ou modèle en semis. Contrairement au modèle traditionnel en bandes, ici les motifs sont comme jetés sur la toile, sans ordre apparent. On note quand même que les motifs « naturels » sont brodés dans le haut, alors que les motifs « géométriques » sont en bas du tissu.
Des animaux variés, oiseaux, escargots, papillons et même un ours sont entourés d’une flore fantastique, de branches portant des fruits et de fleurs stylisées. La partie inférieure semble reprendre le thème des jardins géométrique alors en vogue en Angleterre.

Ce genre de modèle est peut-être plus proche de son étymologie que les jolis modèles bien finis comme celui d’Anna Bucket, souvent encadrés. Ici on a une collection de motifs, de techniques qui donnent l’impression de pouvoir servir de guide ou d’inspiration à une brodeuse.
Les modèles en semis sont rares par rapport aux modèles en bandes, montrant qu’ils étaient utilisés régulièrement et non protégés dans un encadrement. Ils ne sont pas souvent identifiés (nom, date). On peut aussi se demander si ce modèle n’a pas servi pour “se faire la main”: plusieurs motifs ne sont clairement pas terminés, soit parce que la brodeuse avait maitrisé la technique, soit parce que la moitié du point suffisait à se souvenir du reste. On n’allait pas gâcher de précieux fils pour un brouillon !

Modèle de Margret Barber (1661-1663)
Broderie sur lin, réalise aux fils de soie et de métal.
Points : reticello, double point avant, point étoilé et point de Gobelin
95,3 cm sur 16,2 cm
MET 57.122.368

Ce modèle en bandes a été brodé par Margret Barber vers 1661-63. Il est divisé en trois sections, chacune montrant une technique particulière. La première partie – la plus longue – est brodée avec des points et de motifs traditionnels, comme les lettres de l’alphabet, des dessins géométriques et des motifs floraux. Ils sont brodés aux fils de soie et de lin. La section médiane est brodée de fils blancs sur fond blanc, ou Broderie Blanche. Margret a choisi cette technique pour signer son œuvre, et la dater.
La troisième section est brodée au point de Reticello, une technique datant du 15ème siècle. Les fils étaient tirés pour créer un espace vide qui était ensuite brodé. Pour consolider le tissu ainsi coupé, la brodeuse ajoutait des points de feston. Cette technique évoluera vers la dentelle à l’aiguille. Des livres de dessins montrant divers motifs de Reticello étaient édités en Italie à la fin du 16ème siècle. Des copies arrivèrent en Angleterre et leur popularité occasionna l’édition de livres de modèles en Anglais.

Bien que les techniques des fils tirés et de la dentelle à l’aiguille continuent d’être à la mode au début du 17ème siècle, il reste très peu d’exemples anglais. Ils sont suffisants cependant pour être sûr que ces techniques étaient utilisées. Les dentelles les plus fines venaient du continent, à un prix que seuls les plus riches pouvaient se permettre. Il était donc important que les techniques de la broderie blanche soient transmises pour assurer la production à un prix plus raisonnable. Ce modèle a été acheté par la Royal School of Needlework en 1916. Il était alors probablement encore utilisé comme référence.

Ce modèle montre l’évolution de la jeune Margret: elle commence par maitriser des techniques simples avant de se lancer dans des dessins plus compliqués. Au 17ème siècle, la formation des femmes, surtout celles de la bourgeoisie ou de l’aristocratie, passait par les travaux d’aiguille. Dans le livre de comptes de la famille Verney, on retrouve cette note : La fille de Sir Ralph Verney, 8 ans, « ne doit pas apprendre le latin. Cela lui laissera plus de temps pour étudier les bonnes manières et pratiquer les travaux d’aiguilles”.

Texte de Emily Zilber (adapted from English Embroidery from The Metropolitan Museum of Art, 1580-1700: ‘Twixt Art and Nature / Andrew Morrall and Melinda Watt ; New Haven ; London : Published for The Bard Graduate Center for Studies in the Decorative Arts, Design, and Culture, New York, The Metropolitan Museum of Art, New York [by] Yale University Press, 2008.)
Traduction Claire de Pourtalès / Le Temps de Broder

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