Le confinement donne des idées – voici un « feuilleton japonais » sur le Sashiko, écrit par Alison Watts. Pendant 14 jours elle a proposé un exemple de broderie Sashiko aux lecteurs de son Blog.
Traduction Claire de Pourtalès
(Toutes les photos sont protégées © Alison Watts)
Chers Sashikoistes, la vie a changé abruptement et d’une manière que nous n’aurions jamais pu imaginer. Heureusement, la pratique du sashiko est un merveilleux moyen de lâcher son anxiété et ses peurs.
J’ai choisi 14 de mes pièces préférées pour les partager sur Instagram pendant 14 jours, avec un petit texte d’explication. L’idée est de montrer l’histoire et la grande variété des motifs sashiko.
Jour 1 – Un Hanafukin que j’ai brodé moi-même, selon un motif à main levé de pétales de cerisier. J’aime le ressortir chaque année en Avril lorsque les cerisiers fleurissent. Cette année, ils fleurissent sans nous, mais présenter cette broderie est un autre moyen de fêter cette saison.

Jour 2 -“On a tous des rêves » – Cette pièce unique vue au Festival International du Quilt à Tokyo en 2016, a une longue histoire. Il s’agit d’un Furoshiki (un tissu utilisé pour envelopper des objets). Un jeune garçon s’en est servi pour emballer et porter ses affaires lors de l’évacuation des enfants à la campagne lors de la Seconde Guerre Mondiale. 70 ans plus tard, ce tissu est venu aux mains de la créatrice Harumi Iida (la belle-sœur de cet ex-enfant). Elle a ajouté des motifs pour évoquer les rêves de ces enfants séparés de leurs familles.


Jour 3 – Boro signifie guenilles, tissus usés. Ce kimono a été cousu et recousu un grand nombre de fois, et les morceaux ajoutés ont été assemblés par les points de sashiko. Cette pièce provient de la collection de Chuzaburo Tanaka (1933-2013), exposée au musée Amuse de Asakusa. Le musée a malheureusement fermé, mais la collection est en tournée à travers le monde.

Jour 4 – Ce kimono provient aussi de la collection Chuzaburo Tanaka. C’est un Tsugaru Koginzashi de la région d’Aomori, au Nord du Japon. En 1724 une loi interdit aux paysans de se vêtir avec autre chose que le chanvre local, et teint uniquement en bleu. Des motifs d’une grande variété ont été inventés avec les fils de coton blanc disponibles pour matelasser et rendre plus chaud ces simples vêtements.
Jour 5 – Cette superbe pièce multicolore a été réalisée par Reiko Yazam. Il s’agit d’un Nanbu Hishizashi sashiko, un type de motifs provenant de la même province que le kimono ci-dessus, mais plus tardivement. Quand le train arriva dans cette région, il apporta avec lui de nombreux fils de couleurs que les femmes s’empressèrent de coudre sur leurs vêtements de fête.

Jour 6 – Voici un autre example de Nanbu Hishizashi sashiko. Il s’agit d’une paire de chaussures d’enfants, ou tabi, qui a dû être réalisée entre 1868 et 1912 (Ère Meiji).


Jour 7 – Une dernière photo de Hishizashi sashiko. Ces pantalons de travailleur ont été créés pour lutter contre le vent froid du nord. Les motifs ne viennent pas d’une époque particulière mais je dirai Ère Meiji. La teinture indigo était une ressource précieuse. Un truc astucieux pour donner l’illusion de prospérité était de coudre des bandes teintes en indigo foncé sur un tissu plus légèrement teint, donc moins cher.

Jour 8 – Cette tenture a été réalisée par Eiko Suzuki. C’est un parfait exemple de sashiko de la région de Shonai (préfecture de Yamagata). Les dessins Shonai sont généralement géométriques. Leurs origines se trouvent dans la vie et le travail quotidien. Le tissu de base pouvait varier (au contraire du Tsugaru kogin ou du Nandu hishizahi qui étaient brodés sur du chanvre). Nous avons ici divers motifs, comme le Futome Tsunagi (lignes épaisses), Ganze (oursin), Asanoha (chanvre), Soraban (boulier), Sugi (cèdre), Kawari Hishizashi (variation sur le losange) et Kakinohana (fleur de kaki).
Jour 9 – Le motif de cette veste de travail (Hanten), brodée par Hide Takahashi, est l’oursin (Ganze). Le mot est issu du dialecte parlé sur la petite île de Tobishima, au large de la préfecture de Akita. La pêche y joue un rôle important dans la vie de tous les jours. Sur cette veste, les motifs sont presque hypnotiques.

Jour 10 – Ce centre de table a été brodé par mon professeur, Chiyoko Nakazaki. Ce style est appelé Ishiwari (pavés). On a ici des Asanoha (feuille de chanvre), Bishamon kikko (écailles de tortue Bishamon) et Kumi kikko (écailles de tortues entrelacés). Des Ayagata (vague de soie), Tsuno kikko (écailles de tortue à cornes) et Kagome (vannerie) complètent l’ensemble. Sashiko était une technique née de la simple nécessité mais qui est peu à peu devenu un art utilisé pour décorer des tissus. Chiyoko Nakazaki a étudié sous Akita (Eiko) Yoshida qui a été à l’origine du renouveau de l’art du sashiko dans les années 1970.


Jour 11 – A partir de l’Ère Taisho (1912-1926), le sashiko prend des couleurs. Ce superbe rideau (Noren) est l’œuvre de Masami Inoue, une camarade de classe. Je suis très admirative de son art, qui est clair et régulier, mais aussi légèrement en relief, comme de petits grains de riz. Ce motif porte le nom de Noshi, un dessin généralement utilisé sur les cadeaux et les messages. Les dessins sont (de gauche à droite) : Nowaki (herbe d’automne), Kagome (vannerie), Juji tsunagi (croix liées), Asanoha (feuille de chanvre), Maru Shippo tsunagi (7 trésors liés), Bishamon kikko (écailles de tortue Bishamon) et Higaki (barrière de cyprès).

Jour 12 – Cette tapisserie de Akie Ginza, une autre artiste importante dans le sashiko moderne, présente aussi beaucoup de couleurs. Ginza tient une galerie et une boutique dans la campagne de Tokyo (oui, cela peut sembler contradictoire, mais Tokyo n’est pas juste une ville). Elle décrit son travail comme « art » et non « artisanat ». Elle utilise des fibres et des tissus teints naturellement et varie l’épaisseur des fils pour obtenir un effet artistique. Ici, le motif se compose de plusieurs branches (pivoine, chrysanthème et cerisier), dans une composition moderne d’un dessin traditionnel. Les fleurs sont allongées en un format de losange alors que les bords sont composés de joyeuses spirales blanches sur fond bleu.
Jour 13 – J’ai acheté cette petite veste à l’un des marchands de tissu qui sillonnent le Japon. Ils ont parfois une boutique mais passent surtout leur temps à rencontrer des couturières et d’autres collectionneurs à la recherche des précieux vêtements anciens. Cette veste a été très souvent portée et recousue ; récemment, on lui a ajouté des boutons de couleurs pour lui donner un aspect moderne.

Jour 14 – Pour ma dernière photo, je vous laisse avec le détail d’un tablier de travailleur (probablement de l’Ère Meiji). Ce dessin porte le nom de Yatsude Asanoha, ce qui signifie feuille de chanvre à 8 doigts. Le chanvre a été une plante vitale et presque révérée dans la vie du Japon ancien. On retrouve ce dessin partout, encore aujourd’hui. Le chanvre a normalement « 6 doigts » mais l’aralia, une plante proche du chanvre, en a 8. La plante à 6 doigts est généralement utilisée pour décorer les vêtements des enfants, pour symboliser le vœu qu’ils grandissent avec la même force que le chanvre. C’est aussi un talisman contre le mal ou une manière d’exprimer ses vœux de bonne santé.
Je l’utilise donc ici pour vous exprimer mes vœux de paix et de bonne santé. Alison Watts

Le contenu de ce site est accessible gratuitement et n’est pas modifié par de la publicité. Ce travail prend du temps et pour être sûre de pouvoir continuer à faire connaitre nos artistes et l’art de la broderie, j’ai besoin d’un peu d’aide. Si une fois à l’occasion vous pouvez faire un petit don, je vous en serai très reconnaissante! Merci! Claire
Partager