La broderie Mexicaine dans les collections du V&A

03/12/2020

Traduction d’un article du Victoria and Albert Museum sur les Broderies Mexicaines.

Article original: https://www.vam.ac.uk/articles/mexican-embroidery

La broderie a une longue histoire au Mexique. La plupart des textiles de l’époque pré-hispanique ont péri, endommagés par la chaleur et l’humidité, mais les fragments de tissu qui ont survécu prouvent que des broderies étaient parfois utilisées sur les vêtements. Lorsque les conquistadores espagnols atteignirent le Mexique en 1519, ils ne tarirent pas d’éloges sur les réalisations des filateurs, teinturiers, tisserands et brodeurs. Après la conquête, les techniques de broderie espagnoles – y compris une grande variété de points dont beaucoup seraient originaires de l’Égypte ancienne, de la Perse et d’autres régions du Proche-Orient – ont été largement enseignées dans les centres de mission. Plus tard, les textiles importés de Chine et des Philippines ont fourni une inspiration supplémentaire. Aujourd’hui, les femmes mexicaines brodent sur des tissus maison et achetés dans le commerce, avec une vaste gamme de points et de motifs.

Nappe d’autel (détail), artiste inconnue, 19e siècle, Mexique. Musée no. T.67-1931 © Victoria and Albert Museum, Londres

Broderie blanche
Après la conquête espagnole du Mexique, les religieuses catholiques ont gardé leurs églises pourvues de Broderies Blanches. Ce terme est utilisé pour les textiles où les points sont de la même couleur que le tissu de base, généralement du lin blanc, et incluent la technique du «deshilado» ou du fil tiré. Avec le deshilado, les fils sélectionnés sont tirés du tissu de base; le reste est lié et renforcé par des coutures décoratives.

Nappe d’autel, artiste inconnue, 19e siècle, Mexique. Musée no. T.67-1931 © Victoria and Albert Museum, Londres

Comme en Espagne, les fils tirés étaient très utilisés pour embellir les robes de baptême et les bonnets en lin blanc, les chemises de mariage, les nappes d’autel, les surplis pour les enfants de chœur, les habits sacerdotaux et autres vêtements religieux. Une nappe d’autel complexe du 19ème siècle de notre collection présente une large zone centrale de fils tirés. Les motifs de diamants, disposés en treillis, sont remplis de motifs finement travaillés. Il s’agit notamment de singes araignées, de sirènes, de femmes portant des chapeaux et des jupes larges, d’oiseaux de toutes sortes, de fleurs, de cœurs sacrés, de croix et de mains.

Modèles, points et motifs
Les filles de toutes les classes sociales apprenaient les techniques de couture. Le passé plat était souvent utilisé pour broder les animaux, les oiseaux, les fleurs et le feuillage ; le passé plat empiétant permettait d’obtenir des changements de couleur subtils. Bien que les fils de broderie soient principalement de soie, de coton ou de lin, les fils métalliques étaient parfois utilisés pour les vêtements de l’élite et pour l’Eglise. Avec la technique de la couchure (Point de Boulogne), des fils dorés et de la cannetille (fil d’or ou d’argent très fin) étaient posés sur la surface du tissu et fixés par une succession de petits points.

Modèle, brodeuse inconnu, 1770-1799, Mexique. Musée no. T.91-1954 © Victoria and Albert Museum, Londres (cliquez sur l’image pour l’agrandir)

Au Mexique, comme en Europe, des modèles ont permis aux élèves de mettre en pratique leurs compétences nouvellement acquises. Rares sont les modèles qui ont survécu aux premières décennies de la domination coloniale, mais des exemples de la fin des 18ème et 19ème siècles offrent des informations précieuses sur les dessins et les techniques de broderie.

Un bel exemple de notre collection est un tissu de lin brodé de fil doré, de cannetille, de paillettes (petits morceaux de métal scintillant) et de soies colorées pour créer un papillon, des oiseaux, des animaux, des fleurs et des symboles religieux. Le fil doré est à la fois couché et brodé au passé plat. Les soies chatoyantes sont utilisées pour le passé plat, le passé empiétant, les point de tige et les points de nœuds.

Modèle, brodeuse inconnu, milieu du 19e siècle, Mexique. Musée no. T.565-1919 © Victoria and Albert Museum, Londres

Le points de croix, extrêmement à la mode en Europe au 19ème siècle, est devenu si populaires au Mexique qu’il a fini par éclipser la plupart des autres points. En comptant les fils de chaîne et de trame du tissu, souvent en lin, les brodeuses remplissaient les échantillons de motifs d’animaux, d’oiseaux et de plantes densément espacés. Ce style de travail était populaire pour la décoration de nappes, de couvre-lits, d’oreillers et d’autres types de linge de maison.

Un modèle de coton, riche en images et brodé de fil de coton, présente des cerfs, un motif en damier, un chat naturaliste, un coq flamboyant et d’autres créatures de différentes tailles, entrecoupés de lignes décoratives de motifs floraux et de feuilles. L’aigle aux ailes déployées tenant un serpent dans son bec, perché sur un nopal (figue de barbarie), commémore la fondation de la ville aztèque de Tenochtitlan. Lorsque la domination espagnole a pris fin en 1821, cette conception est devenue un symbole populaire de l’indépendance et de la fierté nationale. Les modèles de ce type, caractérisés par le placement aléatoire de motifs individuels, sont appelés modèles isolés.

L’aspect fonctionnel de la fabrication de modèles était souvent représenté par l’inclusion de points de reprise et d’insertion, ainsi que de zones de filage (fils tirés ou coupés). Certaines brodeuses ont inclus les lettres de l’alphabet, considérées comme une pratique utile pour le marquage du linge. Un modèle de lin, daté de 1870, a été brodé en soie par Virginia Samtibañes. Une gamme de motifs géométriques, d’oiseaux stylisés et de motifs végétaux ont été travaillés au point de croix. Elle a également inclus des zones de fils tirés. Bien que la jeune fille accomplisse une tâche de routine dans le cadre de sa formation, sa créativité et son sens du dessin ont personnalisé un exercice standardisé. Les modèles de ce type sont appelés modèles « à bande ». Disposés en rangées ordonnées, des motifs comme ceux-ci servaient de décoration de bordure pour le linge, le mobilier domestique, les accessoires de costume et les sacs à main.

Modèle, Virginia Samtibañes, 1870, Mexique. Musée no. T.288-1928 © Victoria and Albert Museum, Londres
Modèle, Encarnación Castellanos, 1850, Mexique. Musée no. T.92-1954 © Victoria and Albert Museum, Londres
Détail du travail en perles

Les perles de verre ont été introduites au Mexique après la conquête espagnole. Les restrictions coloniales à l’importation limitaient l’accès aux perles jusqu’à l’indépendance, lorsque leur disponibilité accrue les a rendues populaires pour les modèles, les serviettes et les décors de costumes. Un échantillon, réalisé par Encarnación Castellanos et daté de juin 1850, comporte de petits panneaux délicatement brodés de minuscules perles de verre. Les motifs perlés incluent un singe araignée à côté d’une maison et d’un arbre, et des lignes de décoration florale.

Les livres de motifs imprimés – répandus dans la majeure partie de l’Europe après le 16ème siècle – sont restés rares en Espagne et dans les territoires espagnols, où les modèles physiques ont continué à servir d’inventaires de dessins. Même aujourd’hui, dans les communautés autochtones où la broderie est considérée comme une compétence importante, certaines filles fabriquent encore des modèles.

Huipil (tunique de femme), artiste inconnu, années 1800, Etat d’Oaxaca, Mexique. Musée no. T.75-1922 © Victoria and Albert Museum, Londres

Huipils brodés
Notre collection textile comprend un groupe rare et intéressant de huipils du 19ème siècle (tuniques traditionnelles pour femmes), probablement fabriqués dans la ville mazatèque de San Bartolomé, Ayautla, Oaxaca. L’un est brodé sur une légère étoffe tissée sur un métier à partir de coton blanc filé à la main. Le huipil est composé de trois panneaux. Un fil de coton rouge a été utilisé pour broder les motifs au passé plat, placés symétriquement. Les urnes triangulaires de fleurs, entourées d’oiseaux, sont une version stylisée du motif de feuillage universel et toujours populaire de « l’arbre de vie ». L’idée d’un « arbre du monde », importante dans de nombreuses cultures, faisait partie de la cosmologie des Aztèques, des Mayas et d’autres civilisations anciennes du Mexique. L’ouverture du col (coupée dans le panneau central) et les emmanchures sont bordées de larges bandes de broderie. Deux bandes horizontales de motifs floraux dessinent la partie inférieure du vêtement. Fait intéressant, tous les points sont verticaux ; seule la zone des emmanchures a des points horizontaux.

Bien que l’état d’Oaxaca conserve une importante population autochtone et que de nombreuses femmes portent encore un huipil tissé à la maison, ce style qui demande beaucoup de temps, s’est éteint il y a plusieurs décennies chez les Mazatèques. Les exemples contemporains sont rarement aussi élaborés. Avec l’industrialisation, la disponibilité de tissus et de fils produits dans le commerce a augmenté. Le huipil Mazatec est entré dans une période de transition, les femmes abandonnant lentement ce style réalisé à la main.

Un autre exemple du 19ème siècle est fabriqué à partir d’une seule largeur de tissu de coton acheté. Cousu sur les côtés et ourlé le long du bas, il présente une ouverture pour la tête. Des motifs densément espacés couvrent toute la surface du vêtement. Travaillés avec du fil de coton rouge et bleu, et une grande économie de laine, ils comprennent des fleurs, des oiseaux et au centre, un cerf. Les points – passé plat, point de tige et point de croix natté- se sont relâchés et desserrés avec le temps. La broderie de surface de ce type, où très peu de fil est utilisé sur le revers, est une forme de décoration économique qui est encore pratiquée aujourd’hui dans de nombreuses régions du Mexique.

Huipil (tunique de femme), inconnu, 1870-1900, état d’Oaxaca, Mexique. Musée no. T.28-1931 © Victoria and Albert Museum, Londres

Les vêtements autochtones sont simples à fabriquer. Leur intérêt visuel et leur élégance ne doivent pas grand-chose à la couture ; au lieu de cela, ils reposent sur l’apparence et la texture du tissu et sur l’attrait esthétique des motifs de conception. La brodeuse du huipil « aigle à deux têtes » était hautement qualifiée. Dans un premier temps, elle a tissé l’étoffe sur un métier en alternant 5 rangs simples et un rang en relief.

Pour les motifs, la brodeuse a choisi un fil de coton rouge selon une technique de tissage brodé. Le point de croix a été utilisé pour décorer la zone des épaules et l’ouverture du cou de coupe carrée. Une courte section de tissu a été ajoutée à chacun des trois panneaux pour allonger le vêtement. L’aigle bicéphale, fréquemment représenté avant la conquête espagnole et répété ici, peut être un dessin ancien. Le serpent en forme de N, montré deux fois, rappelle fortement le serpent à plumes pré-hispanique.

Deux de ces huipils ont été acquis par le célèbre archéologue britannique Alfred Percival Maudslay (1850 – 1931). Mieux connu pour son travail dans la région maya, il a également passé plusieurs hivers avec sa femme à Oaxaca, avant de déménager à San Ángel, près de Mexico, et enfin de revenir en Grande-Bretagne en 1907. Cette magnifique collection de vêtements incarne les prouesses techniques et l’héritage durable des tisserands et brodeurs mexicains.

Image protégée – lien : http://collections.vam.ac.uk/item/O69514/huipil-unknown/
Huipil (tunique de femme), artiste inconnu, 1850-1907, Etat d’Oaxaca, Mexique. Musée no. T.264-1928. © Victoria and Albert Museum, Londres

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