Yann Lagoutte – un brodeur passionné et passionnant, et Meilleur Ouvrier de France

30/09/2019

(Toutes les photos ©Yann Lagoutte)

Jeune homme, Yann faisait partie d’un groupe de danses bretonnes. Les costumes étaient réalisés par les danseurs et c’est donc tout naturellement que Yann s’est mis à la broderie, puisque cet élément fait partie intégrante des magnifiques costumes bretons. Il se passionne tellement pour cet art, que, malgré des études en bijouterie-joaillerie, il fait un stage d’un mois à l’École de Broderie Pascal Jaouen à 19 ans. C’est le coup de foudre. En 2003 Pascal Jaouen, qui a repéré chez Yann un vrai talent, lui propose un poste dans son école, avec une formation en interne. Pendant une petite année, Yann va suivre ses collègues et apprendre à la fois les techniques qui lui manquent et les manières de les enseigner.

Echantillon Indienne
Flocon turquoise

En 2004 il fait une autre rencontre qui va changer sa vie professionnelle : Pierrette Martin (un personnage dans le milieu de la broderie) prend sa retraite et vient en Bretagne donner des cours en Point de Beauvais.

En discutant avec Yann, il semble difficile de parler de lui sans parler du Point de Beauvais.
Ce point a une longue histoire que Yann se plait à me raconter. Née en Orient, cette technique, qui ne porte pas encore son nom, arrive en France au cours du 18ème siècle. Très simple (c’est un point de chaînette réalisé avec un crochet), il séduit Madame de Pompadour qui l’utilise – ou le fait utiliser – pour orner ses salons. Elle crée même des ateliers, d’où sortira la fameuse Rose Beauvais aux lignes pures et nettes. Les ateliers disparaissent à la Révolution, sauf, à ce qu’il semble, celui de La Flèche (Sarthe). Une certaine Madame Boulard, brodeuse de son état, redécouvre cet atelier au 19ème siècle, l’achète et reprend ce point presque oublié pour son linge de maison. Elle lui donne le nom de Beauvais pour lui assurer un certain anonymat. C’est le seul point de broderie qui sera côté en bourse !

Ce point a cela de particulier qu’il est beaucoup plus difficile à maitriser qu’il ne le laisse deviner. Certes, il est très régulier mais il a évolué depuis les grands aplats du 18ème siècle, où tout le motif était fait d’une seule couleur, assez vive. Aujourd’hui on y ajoute des dégradés dignes de la peinture à l’aiguille et il faut beaucoup de savoir-faire pour obtenir une broderie subtile et nette. Ceci est l’autre aspect de ce point : sa netteté. Un bord du point est toujours plus élevé que l’autre et il faut veiller à ce que ce bord reste du côté extérieur du point pour créer une zone d’ombre nette.

Pivoine

Ce point peut être brodé sur beaucoup de tissu, à partir du moment où sa trame est bien dense et peu souple (pas élastique).
Yann s’est lancé sur deux supports inhabituels : le cuir et l’organza. Avec le cuir, il a dû adapter la taille du point et broder avec un crochet plus petit pour ne pas risquer de déchirer le support. Avec l’organza il fait une belle découverte : le support fini par disparaitre complètement sous la broderie. Il peut donc la découper, lui donner du relief et l’utiliser comme les Anglais le feraient avec le Stumpwork.

Cercle cuir
Nénuphars bleus

En fait, Yann est tellement passionné par ce point qu’il décide de se présenter au concours des Meilleurs Ouvriers de France. Le thème est imposé. «Devant de gilet aristocratique fin du règne Louis XV (1764-1774) pour une utilisation dans une comédie musical.»
Pendant 6 mois, Yann fait des recherches pour préparer son oral. Une fois son projet validé, il se met à la broderie. Comme le décor du gilet doit être vu de loin, il se lance dans les motifs de grandes fleurs dégradées. Comme expliqué plus haut, réaliser un dégradé subtil avec ce point est une affaire très délicate et technique.

Visiblement, c’est un challenge qu’il a su gagner ! Sur son nuage pendant quelques mois («La remise officielle des médailles par le Président de la République à l’Élysée est un moment difficile à décrire. J’ai eu de forts moments d’émotion!»), il profite de son nouveau statut pour lancer avec Karine Dorval (également MOF en point de Beauvais), un « programme Beauvais » à l’École Pascal Jaouen.

Roses Beauvais
Dragon

Pascal Jaouen est très ouvert aux nouveautés et favorise l’esprit d’initiative de la part de ses employés. Ceci correspond à l’esprit MOF qui veut que tout savoir-faire soit transmis dans un esprit ouvert à la création et à l’innovation.

Yann se met donc à inventer des motifs pour adapter ce point à la broderie contemporaine et les proposer à ses élèves.
Il se rend alors compte que cette technique est finalement assez proche de celle du tatouage. Il demande donc à un ami tatoueur de lui réaliser des motifs « non pour la broderie mais pour un tatouage ». Il se met ensuite à adapter ce motif pour le réaliser avec son point fétiche. Il devra quand même y ajouter des appliqués de tissus et des milliers de petits points avant pour réaliser, en 400 heures, son Dragon noir.

Yann est un professeur très apprécié à l’École Jaouen : «Il s’adapte toujours à nos envies et à notre niveau. Il est patient, à l’écoute de ses élèves et parfois donne de petits challenges ou nous pousse à essayer autre chose pour sortir un peu de nos habitudes. Sa maîtrise et ses connaissances de la broderie sont impressionnantes. C’est un vrai plaisir de pouvoir apprendre auprès de lui», Marie.
Depuis peu il a aussi monté son auto-entreprise pour lui «permettre de pouvoir évoluer plus facilement dans (ses) projets personnels et pouvoir faire le travail d’actualisation de ce point de broderie».

Pas de doute, ce brodeur passionné et passionnant sait faire de ses rencontres un riche terreau de créativité !

Phénix

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