Isobel Currie – l’élégance de la 3ème dimension

22/12/2019

Isobel Currie (Angleterre) nous fait entrer presque littéralement dans le monde des points de broderie. Elle les analyse comme nous ne les avons jamais vu. Les fils se déploient dans l’espace et la lumière et nous révèlent des liens insoupçonnés.

Isobel Currie © M.Hignell
Fly Stitch Sand Ripples, détail (Ondulations du sable au point de plume)-2014 / ©Isobel Currie

Toutes les photos sont protégées par copyright. Elles ne peuvent être utilisées sans l’accord écrit d’Isobel Currie. Merci!

Fly Stitch Autumn Landscape (Paysage d’automne au point de plume)-2017 / ©Isobel Currie

L’artiste est aussi capable de voir des rapports dans la nature que les points de broderie peuvent faire revivre, voir même dévoiler. Pendant des mois elle travaille à réaliser à son tour la sculpture de fil et de verre, de plastique et de perles qui nous révèlera sa vision.
Dans l’excellent article de Charlotte/TextilArtists (en Anglais), Isobel raconte le processus de création de son œuvre Fly Stitch Autumn Landscape (ou Paysage d’automne au point de plume). Elle s’est rendu compte qu’un paysage peut être rendu dans sa tridimensionnalité avec des fils passés à travers un tissu d’organza et des pans de Perspex® transparents.

Le travail préparatoire est long et particulièrement minutieux. Ses études au Manchester Polytechnic sont visibles ici : on a l’impression de voir une architecte au travail – règles, lignes, gomme, crayon ultra fin, papier calque… Des crayons de couleurs et des bobines de fils nous rappellent que nous sommes quand même dans l’atelier d’une artiste textile. Une difficulté récurrente est de pouvoir dépasser les limites physiques, comme de pouvoir broder les fils dans une boîte ou de pouvoir trouer une paroi de plastique sans abimer son intégrité.

Pour jouer avec un maximum de couleurs possible Isobel a choisi de travailler avec du coton mouliné. Elle aime l’idée d’utiliser les mêmes matières que des milliers de brodeuses utilisent pour créer des œuvres bien différentes.

Fly Stitch Autumn Landscape (Paysage d’automne au point de plume) / En cours – 2017 / ©Isobel Currie
Aurora – 2012 / ©Isobel Currie

La création de l’œuvre se poursuit en perçant les pans de plastique. La perceuse est fixe, c’est la plaque de Perspex qui est disposée selon le schéma prévu. Une simple erreur et tout doit être refait. Une seule œuvre peut demander plus de 5000 trous – et compter plus de 20 heures pour ce processus seulement. Ensuite, il est aussi important de broder les fils non dans l’ordre du dessin, mais dans l’ordre de leur accessibilité. Une fois la broderie avancée, Isobel ne peut pas revenir en arrière. Une œuvre peut demander une année de travail.

Isobel ne vend pas ses œuvres – trop uniques, trop personnelles, porteuses de tant d’effort et de découvertes… Cependant, elle peut accepter une commission.

« Tout mon travail est une exploration en trois dimensions de la nature des points de broderie. C’est comme une longue période d’investigation autour d’une idée centrale. Chaque œuvre aborde un nouveau point – comme j’y passe des mois il est important pour moi de varier ! Mais il m’arrive aussi de reprendre un ancien point, une ancienne idée que je développe autrement. »

Fan Sails (Voiles en éventail), travail de diplôme 1990/ ©Isobel Currie

Comment êtes-vous arrivé à cette forme créative ?
Depuis mon enfance, mon intérêt principal a été la broderie, la couture, le textile. J’ai donc suivi cette branche au Manchester Polytechnic. J’ai aussi eu la possibilité d’étudier l’art du métal au sein du Département du Dessin en Trois Dimensions. J’ai trouvé cette formation très intéressante et elle m’a profondément influencée. J’ai alors commencé à créer des points en trois dimensions avec des fils de fer et ma présentation finale en 1990 était basée sur cette idée. J’ai continué d’explorer cette idée pendant des années, testant différentes matières pour arriver au résultat que je cherchais. Mais ce n’est qu’en 2010 que j’ai trouvé et maitrisé les pans de plastique transparent qui pouvaient à la fois mettre en valeur mes dessins et se marier parfaitement avec mes fils.Bien sûr il y a toujours des ajustements, de nouvelles découvertes, des avancées – et j’espère que ça sera toujours le cas – mais je pense avoir enfin trouvé mes outils.

Interlace (Entrelacs), 2010 / ©Isobel Currie

Pratiquez-vous d’autres formes d’art ?
J’ai testé de nombreux autres arts textiles qui tous ont eu une influence sur mon art. Ils m’ont donné une large gamme de techniques et d’outils que je peux encore utiliser. Je fabrique des vêtements (ce qui en soit est une forme d’art 3D !), je crée aussi des bijoux et des œuvres en perles.

Est-ce que votre style de vie influence votre art ?
Le temps est le bien le plus précieux pour un artiste, surtout quand les techniques utilisées demandent beaucoup de travail – et depuis quelques années, j’ai la grande chance de n’avoir pas à travailler pour vivre. Je donne tout mon temps à ma création, ce qui me permet de produire davantage. Mon travail demande beaucoup d’attention et de temps et c’est très frustrant d’avoir à s’arrêter sans cesse. Je travaille aussi à la maison – ce qui demande beaucoup de discipline, mais m’offre la possibilité de créer dès que l’inspiration vient.

Quels sont les artistes qui vous influencent ?
Celle qui a le plus d’influence sur mon travail est probablement Bridget Riley avec ses formes géométriques, ses subtils changements de couleurs. La belle idée de Paul Klee « Une ligne est un point qui a fait une promenade » me touche, ainsi que sa façon de travailler avec des juxtapositions de couleurs qui ressemblent, à mes yeux, à des points de broderie et de patchwork. Enfin je citerai aussi Alexandre Calder pour son travail du métal en lignes claires et ses mobiles flottant dans l’espace.

Est-ce que le monde autour de vous vous inspire ?
Je n’ai jamais beaucoup voyagé mais je trouve beaucoup de sujets qui m’inspirent autour de moi, en particulier la nature. Aujourd’hui, les magnifiques images du monde nous arrivent via Internet et je peux aussi m’en inspirer. Je vois tout sous l’angle de mon art !
Les couleurs sont essentielles pour moi, je remarque toujours leurs changements, leurs juxtapositions. Je suis synesthète, ce qui fait qu’automatiquement et inconsciemment j’attribue une couleur à tout, notamment aux concepts abstraits. Je sais dès le début de mon processus créatif quelle couleur une forme va prendre.

Point avant, détails (En cours), 2019 / ©Isobel Currie
Lys au point de bouclette, détails – 2019 / ©Isobel Currie

Avec un processus aussi long, ressentez-vous parfois de la frustration ? Pouvez-vous travailler sur plusieurs œuvres à la fois ?
Oui, je ressens parfois cette frustration, surtout au début, lors de la préparation de l’œuvre parce qu’alors j’ai beaucoup d’autres idées qui viennent que je voudrai pouvoir essayer ! Mais une fois que je suis en train de broder, je suis complètement absorbée dans ma création, dans l’évolution des formes. Je travaille sur une seule œuvre à la fois, mais je note mes autres idées dans un cahier à part, pour pouvoir y revenir par la suite.

Quelle est votre définition de l’artiste ?
Je dirai surtout qu’un artiste crée d’abord pour lui-même. C’est une nécessité, il doit créer, même si personne ne le voit, même si le travail ne va pas comme il le voudrait, parce qu’il a en lui une urgence, un besoin de créer qui est trop fort.

Votre œuvre est à la fois masculine (force physique) et féminine (émotion), donnant ainsi un fini ouvert aux deux. En êtes-vous consciente ? Comment voyez-vous cela ?
C’est une question intéressante à laquelle je n’avais jamais pensé. Mon travail a toujours tourné autour de dessins plutôt techniques, qui pouvaient peut-être être considérés plus « masculins » dans le passé. Mais j’espère que l’évolution vers un monde plus neutre à ce niveau-là conduira à la disparition de ce genre d’idée. C’est ma manière de penser natuelle, mais il peut être intéressant de surprendre les gens qui ont des attentes que j’appellerai « historiques » sur l’art textile comme étant un art féminin.

Rêvez-vous de créer une très grande œuvre où les gens pourraient marcher à travers vos fils de couleur ?
Peut-être qu’un jour je ferai des œuvres plus grandes, mais pour l’instant je suis heureuse de rester dans de petites dimensions, qui demandent que les gens s’approchent pour voir les détails.
Il y a déjà plusieurs artistes comme Gabriel Dawes qui crée de magnifiques et immenses œuvres en utilisant les fils de couleurs. Mon travail explore les points de broderie, pas juste les lignes des fils, et si je devais réaliser des œuvres plus grandes, elles devraient refléter ce thème.

Visitez le site d’Isobel et découvrez d’autres merveilles: http://www.isobelcurrie.com/

Fly Stitch Autumn Landscape, détails (Paysage d’automne au point de plume)-2017 / ©Isobel Currie

Le contenu de ce site est accessible gratuitement et n’est pas modifié par de la publicité. Ce travail prend du temps et pour être sûre de pouvoir continuer à faire connaitre nos artistes et l’art de la broderie, j’ai besoin d’un peu d’aide. Si une fois à l’occasion vous pouvez faire un petit don, je vous en serai très reconnaissante ! Merci! Claire

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