Brève plongée dans le livre de Claude Fauque – La Broderie – Splendeurs, mystères et rituels d’un art universel (2007 – Aubanel)
La broderie est certes un art fragile, mais curieusement il a souvent été utilisé pour protéger ceux qui s’en ornent des dangers divers.
Elle permet d’ajouter des motifs symboliques aux vêtements les plus simples comme les plus riches. On retrouve dans le monde entier et dans tous les temps ce besoin de porter « un talisman ».
Une protection brodée au Moyen-Âge
Au cours du Haut-Moyen-Age, les plus riches n’hésitaient pas à se parer de manteaux couverts de broderie rappelant les Évangiles : au point que l’évêque saint Astérius devait rappeler à l’ordre ceux « qui portaient l’Évangile sur leur dos au lieu de le porter dans leur cœur ». On se faisait aussi ensevelir dans les somptueuses étoffes brodées ramenée des croisades, comme si la broderie se devait d’être un intermédiaire vers l’au-delà.
La tradition juive des Mappa brodés
Une tradition juive d’Alsace veut que le linge de circoncision soit coupé en quatre puis assemblé en bandelette sur lequel est brodé le nom de l’enfant (en Hébreu), sa date de naissance et des vœux pour son avenir. Ces bandelettes étaient ensuite offertes à la synagogue pour fermer les rouleaux de la Torah. Ces « mappa » sont « la matérialisation d’un rite de passage qui permet de reconnaître l’un des siens en le plaçant sous la protection de Dieu ».

Bandelettes de 1733 en lin brodé du texte suivant : “Moshe, fils d’Elieser appelé Lippmann. Qu’il vive de nombreuses années, né sous une bonne étoile le deuxième jour de la semaine, le 8 du mois de Eloul 493 du petit comput sous le signe de la vierge. Qu’il grandisse dans les voies de la Torah du mariage des bonnes actions. Amen” (Bandelettes juives)
Broderies coraniques
Au Sénégal et au Cameroun, ce sont les maîtres du Coran qui brodent les bonnets (la tête étant la partie la plus importante du corps, puisque la plus proche de Dieu). Le col des vêtements doit aussi être particulièrement travaillé car il doit protéger cette ouverture des « influences mauvaises ».
En Turquie il existe des tentes brodées en vue du pèlerinage à la Mecque.
Les Kesas brodés du Japon et au Tibet
Au Japon, il y a la tradition des Kesas. A l’origine, ce tissu rectangulaire était fait de pièces rapiécées, symbole du détachement bouddhiste. Mais peu à peu il est devenu d’usage d’offrir des Kesas luxueusement brodés aux moines bouddhistes. Plus le Kesa était beau, plus l’offrant gagnait de mérites. Et broder un Kesa devenait aussi un geste de dévotion, accompagné de prières à chaque point réalisé.
Au Tibet, ce sont des tentures de prières pouvant faire 4 mètres de long qui étaient brodées par les hommes selon deux techniques : l’appliqué ou le passé empiétant. Ces tentures étaient déployées lors des fêtes religieuses dans les lamaseries.
Contre le mauvais esprit : de la Roumanie au Baloutchistan
En Roumanie (au sud des Carpates), les femmes ornaient leurs jupes d’une « riche broderie faite de lames d’argent, bordant la jupe et gagnant la taille par intervalles réguliers », car l’argent était « considéré comme purificateur, c’est-à-dire qu’il éloigne le mal et les mauvais esprits ». En Inde, le même effet était obtenu en brodant de minuscules miroirs, les mauvais esprits étant « terrifiés par leur propre reflet ».
Le motif de l’œil est très ancien et répandu dans toute la Méditerranée, comme au Maroc où les bergers berbères « portaient des capes noires tissées au dos d’un immense œil rouge avec des motifs et des fils flottants ».
Le motif du triangle sert aussi de protection : au Baloutchistan, il orne les fentes du vêtement permettant l’allaitement, assurant une protection du lait pour l’enfant.
La broderie sert aussi à se protéger des envieux : les femmes syriennes « laissent des imperfections dans la broderie » de leurs vêtements pour se protéger des regards envieux!
La broderie – ou l’art de parler sans mots…
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