Article de Rebecca Devaney, traduit par Claire de Pourtalès
En 2015, Rebecca Devaney a reçu une bourse du Thomas-Dammann-Junior-Memorial-Trust-Award pour entreprendre une recherche sur l’importance culturelle, les techniques et les styles esthétiques de la broderie au Mexique. Ayant déjà vécu au Mexique, elle avait été captivée par la nature communautaire et quotidienne de cette technique, en particulier chez les femmes.
Pendant l’été, Rebecca a parcouru plus de 3 600 km à travers cet immense et magnifique pays, visitant les régions de Veracruz, Hidalgo, Mexico State, Michoacan, Oaxaca, Chiapas et Puebla.
Elle a également visité les musées du pays, comme le Musée national d’Anthropologie, le Musée de l’artisanat, le Musée national de l’Histoire, le Musée Franz-Meyer, le Musée du Textile de Oaxaca et le Centre du Textile du Monde Maya. Elle a ainsi pu rencontrer des anthropologues, des ethnologues et des chercheurs du domaine textile qui lui ont révélé l’histoire passionnante et la signification sociale et culturelle de la broderie mexicaine. Dans cette culture, les tissus jouent un rôle essentiel, comme ces chercheurs ne cessaient de le lui faire remarquer. Chaque peuple a ses propres références textiles qui les distinguent les uns des autres, tout en ajoutant de fines nuances qui marquent différences sociales, matrimoniales, ethniques.

Nicolas Xochihua Gonzalez – Veracruz – Huipil

Nicolas Xochihua Gonzalez – Blusa
Les décors brodés des costumes traditionnels sont incroyablement variés, ainsi au sein d’un même groupe, on retrouve des différences de style, de techniques, de motifs et de couleurs. Ces différences parlent des traditions préhispaniques comme de l’influence de la colonisation européenne, des missionnaires chrétiens, de l’esclavagisme, des routes du commerce et de l’immigration.
Rebecca s’est aussi intéressée aux artistes et artisans d’aujourd’hui. Elle a ainsi rencontré des brodeurs de Huesteca, Totonac, Otomi, Purepecha, Mazahue, Mixteca, Zapotec, Ta-cuate, Tzotzil et Tzeltal. Elle a pu enregistrer leurs histoires fascinantes et diverses. Les femmes racontaient comment leur mère et leurs grand-mères commençaient à leur enseigner la broderie à 5 ou 6 ans. Les dessins les plus complexes étaient appris par cœur et réalisé intuitivement, sans modèle.
Elles commençaient à broder à la fin de leurs longues journées, et ces heures étaient comme un refuge relaxant, ouvert à la méditation. Les revenus obtenus par cet artisanat leur permettaient de gagner un peu d’indépendance et d’autonomie. Les histoires ne sont pas rares où c’est la grand-mère qui assure le revenu de la famille. Et malgré certaines résistances, plusieurs coopératives sont nées de la volonté des femmes de s’unir. Chaque femme décrit son travail avec fierté, décrivant les heures investies ainsi que la signification des couleurs, motifs et dessins de leurs traditions, de leur culture et héritage. Cependant, les histoires les plus touchantes sont celles qui évoquent la possibilité de décrire les émotions, les ressentis des brodeuses à travers leurs œuvres, comme un moyen de donner corps à leur personnalité, à leur vie, à leurs expériences.

Antonina Cornelia Sanchez – Oaxaca

Ezequiel Vicente Jose – Details
Pendant ce voyage, Rebecca a pu rassembler une magnifique collection de tissus brodés. Elle les achetait directement aux brodeurs qui choisissaient la pièce dont ils étaient les plus fières et qui représentait le mieux leur communauté. Plusieurs de ces broderies ont remporté des prix lors de compétitions régionales ou nationales. Quand elle ne pouvait pas acheter les broderies directement, Rebecca les trouvait dans des coopératives. Là, elle a pu admirer combien les employés avaient à cœur de mettre en valeur les travaux des artisans tout en leur offrant les meilleures conditions de travail possible.
Au total ce sont 18 broderies exceptionnelles qui sont entrées dans la collection de Rebecca. Elles ont fait l’objet d’une exposition Bordados : Embroidered Textiles from Mexico, qui a été proposée dans plusieurs ambassades et universités entre 2016 et 2018. Les broderies étaient accompagnées de textes et de photos qui illustraient la vie des artistes et le voyage de recherche à travers le Mexique. Cette exposition a été sélectionnée par l’ambassade du Mexique pour représenter sa magnifique tradition textile et son héritage spécifique lors de la Journée du Patrimoine Européen de 2018.

L’histoire de Teresa Lopez Jimenez / Juchitan, Oaxaca
Lors de la période colonial, l’isthme de Tehuantepec à Oaxaca était le centre des routes commerciales où se retrouvaient les marchants venus d’Asie et d’Europe.
Les vêtements de fête et les accessoires des femmes Zapoteca venant de Juchitan et de Tehuantepec sont riches des influences de ces cultures variées : mantilles espagnoles des Philippines, fils d’or d’Arabie, broderies de soie chinoises, voiles en dentelles catholiques.
Plus récemment, leur costume a été rendu célèbre par Frida Kahlo, et aujourd’hui les détails superbes de ces broderies et la richesse des couleurs sont admirés dans le monde entier. Les artistes s’inspirent de la richesse des fleurs exotiques de leur pays. Les motifs floraux sont interprétés de mille manières, motifs petits ou grands, dans une nuance infinie de couleurs, de camaïeux qui contrastent avec le fond traditionnellement noir ou brun des tissus de velours et de satin. Un métier à broder et un simple point passé sert à créer des milliers de broderies au coton mercerisé. Señora Teresa est reconnue comme étant le Grand Maître de l’Artisanat de Oaxaca. Elle a commencé à apprendre à broder à 12 ans avec sa mère et sa grand-mère. Aujourd’hui, c’est sa principale source de revenus. Il lui faut environ 6 mois pour border un huipil (sorte de courte chasuble) et une jupe pour un costume de fête.

Teresa Lopez Jimenez et sa petite-fille / Juchitan, Oaxaca

L’histoire de Francisca Torres Hinojosa / Morelia, Michoacan
L’Etat de Michoacan est unique en ce qui concerne l’histoire de son artisanat indigène. Cela est dû en grande partie au travail exceptionnel de l’évêque Vasco de Quiroga, au 16ème siècle.
Profondément influencé par l’Utopie de Thomas More (1516), il fonda des hôpitaux, des églises et mis en place un système d’éducation pour le peuple Purépecha.
Ayant reconnu la beauté de leur artisanat, il organisa un système de formation où chaque village se spécialisait dans un aspect de la production artisanale. Encore aujourd’hui, les artisans de Michoacan sont considérés comme les plus doués du Mexique et continuent de porter l’évêque Vasco de Quiroga dans leur mémoire.
Dans la mythologie préhispanique, les tissus étaient protégés par les déesses et les femmes Mayas vénéraient la déesse de la Lune, Ixchel, déesse du filage, et sa fille, Ichebelyax, déesse de la broderie. La broderie préhispanique du Michoacan était constituée de dessins géométriques et de couleurs franches, porteuses de symbolismes et de significations cachées. Elles se sont mélangées aux influences des missionnaires catholiques, avec l’introduction du point de croix et des motifs floraux, le tout rendu dans des couleurs pastel harmonieuses. Señora Francisca a reçu de nombreux prix lors de compétitions régionales et nationales. Elle connait par cœur les dessins préhispaniques de ses ancêtres : elle n’utilise jamais de modèle, la complexité des dessins faisant comme partie de sa mémoire à jamais.

Francisca Torres Hinojosa / Morelia, Michoacan

Pour plus de détails sur ce périple à travers la broderie du Mexique, les histoires des brodeuses et leurs œuvres et expositions, cliquez ici.
Toutes les photos sont de ©Rebecca Devaney
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